vendredi 12 mars 2010

Naruto est-il un enfant résilient ?

Le terme de « résilience » est d’abord un terme de métallurgie. Il s’agit du procédé utilisé par les métallurgistes de Damas qui avaient découvert que pour durcir les épées, il fallait les ramollir au feu puis les refroidir brutalement en les plongeant dans de l’eau. L’acier obtenu ainsi par trempage était beaucoup plus solide.

Le terme a été importé en psychologie par un psychanalyste américain, Fritz Redl sous les termes d’ « ego resillience » et de « invulnerable children ». Les américains l’ont surtout employé dans le sens d’une compétence sociale. La définition en est restée assez générale qu’il s’agit parfois d’un trait, d’un résultat ou d’un processus. On parle parfois de capacité à être heureux (Jeanne et Jack Block), puis à partir de là, on est passé à la capacité à être heureux malgré les épreuves. La personne résiliente est alors celle qui sait faire d’un malheur quelque chose de merveilleux (Cyrulnik, Un merveilleux malheur, 1999)

Naruto est il un enfant résilient ? A-t-il su faire des merveilles de son malheur ? Après tout, il s’agit d’un enfant passé par des moments difficiles et même douloureux. Il est élevé dans l’absence de ses parents, et mis à l’écart par tout son village. Il devra attendre sa douzième année pour apprendre pourquoi il était l’objet d’un tel traitement et la vérité ouvre sur d’autres souffrance : nul ne devait lui dire qu’il portait en lui le terrible démon renard qui avait dévasté son village. Bref, Naruto est orphelin, craint et détesté par tout son village, porteur du responsable de la mort de ses parents. Pour un enfant, cela commence à faire vraiment beaucoup ! Pourtant, malgré cela, Naruto reste un enfant jovial. On serait tenté d’en faire un enfant « invulnérable », un de ces enfants qui sait rebondir malgré les difficultés. Bref, un enfant résilient ?

On doit sans doute l’étude la plus complète sur les facteurs de résilience à Masten et Coastworth. Ils distinguent 1. les ressources internes de l’individu ; 2. les facteurs de protection familiaux et 3. les facteurs de protection extra-familiaux.

Comme ressources internes Pierre, Masten et Coastworth indiquent le fonctionnement intellectuel, l’estime de soi et les compétences relationnelles. S’il est difficile d’évaluer le quotient intellectuel de Naruto, est ils assez évident qu’il est loin du génie d’un Shikamaru et que sa capacité à planifier les problèmes est proche du zéro. Il bénéficie par contre d’une excellente estime de soi : il ne doute pas de devenir leur meilleur ninja de son village et parfois on s’inquiète même tant cette certitude semble confiner au délire des grandeurs.

Pour ce qui est des compétences relationnelles, on ne peut pas dire que Naruto soit d’un tempérament facile. Faire équipe avec Naruto, c’est sans cesse être à la remorque d’un excité qui fonce tête baissée dans les pires traquenards. Pour ce qui est des facteurs de protection familiaux, on ne peut que constater leur absence. Naruto est pris en charge par différents maitres lorsqu’il commence sa formation, mais avant ses 12 ans, il semble avoir été laissé à l’abandon. Il n’a pas bénéficié de relations chaleureuses avec des parents structurants, soutenants et compétant, ne semble pas pouvoir s’appuyer sur d’autres membres de sa famille, ignore tout des relations que ses parents entretenaient entre eux. Dans ce contexte, l’arrivée de maitres bienveillants, arrivant à contenir son énergie infinie, lui sont sans aucun doute une aide précieuse.

Enfin, pour ce qui est des facteurs extra familiaux, les bonnes relations avec le monde des adultes n’est pas le trait qui caractérise le plus Naruto. On le voit davantage en bute avec toutes les formes d’autorité, explorant avec entêtement ses propres idées et poursuivant sans relâche son idéal : devenir Hokage !

Si l’on s’en tient aux facteurs de résilience tels que les définissent à Masten et Coastwort, Naruto est vraiment loin du compte. Il ne dispose ni des ressources internes ni des ressources relationnelles qui lui permettraient d’être résilient. Son environnement familial est réduit à néant et il n’a pu compter sur des ressources extra-familiales qu’à partir de son entrée à l’école des ninjas. Le comportement de Naruto fait plus penser à celui d’un délinquant qu’à un enfant pleinement inséré dans sa société : le premier épisode de l’anime s’ouvre d’ailleurs sur un vol de Naruto[1]

Il est un enfant qui est parfaitement inséré : c’est Sasuke. Il est d’ailleurs le symétrique inversé de Naruto. Naruto est braillard, Sasuke est taiseux. Naruto est vaniteux, Sasuke est modeste. Naruto est indisciplé. Sasuke est bien mis. Naruto est débraillé. Sasuke est appliqué.  Mais Sasuke partage avec Naruto d’avoir une histoire douloureuse : tout son village a été détruit, par son frère qui plus est. Son hyper adaptation cache en fait une haine féroce contre celui-ci. Sous l’élève obéissant et brillant, se sommeille un monstre de vengeance qui sacrifiera tout à son but.

En fait, Sasuke et Naruto sont deux destins possibles face à un traumatisme. Sasuke illustre de développement d’une hyper adaptation et l’enfouissement profond d’éléments affectifs qui restent pourtant actifs. Ils sont juste contenus dans une partie séparée de l’appareil psychique. L’adaptation peut être remarquable même si l’aménagement du traumatisme se fait parfois au détriment de l’entourage de la personne. Ainsi, Sasuke semble être incapable du moindre mouvement d’affection vraie alors que Naruto semble alors être au contraire dans une dépendance affective à son égard

On retrouve ici le vrai sens du mot résilience. On se souvient que l’acier trempé est plus solide parce qu’il a été un moment ramolli. Ce qui est importe ce n’est pas tellement de résister au traumatisme que le fait de pouvoir être transformé. Ainsi, au Japon, les caténaires s’usaient plus rapidement qu’en France parce que la distance entre deux pylônes était exactement celle des spéciations technique ce qui provoquait un phénomène de résonnance. Le fait d’introduire un peu d’imperfection dans le système a résolu le problème. Dans le domaine informatique, le bit de parité a été inventé par le mathématicien Hamming pour résoudre les problèmes de transmission. Il en est de même pour les psychés

Tout aménagement trop parfait d’un traumatisme doit être suspectée d’être pathologique : il cache soit une absence totale d’élaboration, soit une mise au secret dans les profondeurs du psychique. Tout Naruto est en fait une succession de portraits psychologiques de traumatisés : Naruto, Sasuke, Gaara, Sasori, Neiji… la liste des enfants ninja devant élaborer les traumatismes des générations passées est longue.

Voir aussi : Serge Tisseron Ces mots qui polluent la santé. Résilience ou la lutte pour la vie. http://www.monde-diplomatique.fr/2003/08/TISSERON/10348


[1] Comme nous le verrons, il s’agit en fait d’une tentative de Naruto de se réapproprier son histoire : ce qu’il vole ce sont les techniques secrètes de son village.